accueil
LIVRES
L'ERREUR SPIRITE
INDEX

In-8 carré de 406 pages (1923)

Des diverses manifestations, du désordre intellectuel de l'Occident moderne, une des plus graves, aux yeux de René Guénon, est le spiritisme. Celui-ci, en effet, ne se présente pas seulement comme une théorie philosophique, mais il s`accompagne d'une pratique ayant pour résultat de mettre ceux qui s'y adonnent en contact avec des forces obscures, mal définies, et cela dans les conditions les plus dangereuses.
On trouvera dans cet ouvrage un exposé des origines du spiritisme, qui étaient demeurées véritablement ignorées jusqu'ici en dépit de l'énorme littérature consacrée à ce courant d'idées, ainsi qu'une analyse serrée des théories spirites. Cet examen permet à l'auteur d'exposer, chemin faisant, des données traditionnelles sur la constitution de l'homme et du monde et d'apporter, sur bien des points touchant à la cosmologie et au domaine psychique, des clartés qu'on ne saurait rencontrer ailleurs.
http://www.index-rene-guenon.org/Access_book.php?sigle=ES&page=1

DISTINCTIONS ET
PRÉCISIONS NÉCESSAIRES

Définition du spiritisme p.7
Les origines du spiritisme p. 17
Débuts du spiritisme en France p. 31
Caractère moderne du spiritisme p. 41
Spiritisme et occultisme p. 61
Spiritisme et psychisme p. 75
L'explication des phénomènes p. 93

EXAMEN DES THÉORIES SPIRITES
Diversité des écoles spirites p. 125
L'influence du milieu p. 135
Immortalité et survivances p. 149
Les représentations de la survie p. 159
I.a communication avec les morts p. 183
La réincarnation p. 197
Extravagances réincarnationnistes p. 227
Les limites de l'expérimentation p.247
L'évolutionnisme spirite p. 275
La question du satanisme p. 301
Voyants et guérisseurs p. 329
L'Antoinisme p. 349
La propagande spirite p. 363
Les dangers du spiritisme p. 385
CONCLUSION p.399



CHAPITRE IV

CARACTÈRE MODERNE DU SPIRITISME

CHAPITRE IV

CARACTÈRE MODERNE DU SPIRITISME

Ce qu'il y a de nouveau dans le spiritisme, comparé à tout ce qui avait existé antérieurement, ce ne sont pas les phénomènes, qui ont été connus de tout temps, ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer à propos des « maisons hantées » ; et il serait d'ailleurs bien, étonnant que ces phénomènes, s'ils sont réels, aient attendu jusqu'à notre époque pour se manifester, ou que du moins personne ne s'en soit aperçu jusque là. Ce qu'il y a de nouveau, ce qui est spécialement moderne; c'est l'interprétation que les spirites donnent des phénomènes dont ils s'occupent, la théorie par laquelle ils prétendent les expliquer ; mais c'est justement cette théorie qui constitue proprement le spiritisme, comme nous avons eu soin d'en avertir dès le début ; sans elle, il n'y aurait pas de spiritisme, mais il y aurait quelque chose d'autre, et quelque chose qui pourrait même être totalement différent. Il est tout à fait essentiel d'insister là-dessus, d'abord parce que ceux qui sont insuffisamment au courant de ces questions ne savent pas faire les distinctions nécessaires, et ensuite parce que les confusions sont entretenues par les spirites eux-mêmes, qui se plaisent à affirmer que leur doctrine est vieille comme le monde. C'est là, d'ailleurs, une attitude. singulièrement illogique chez des gens qui font profession de croire au progrès ; les spirites ne vont pas jusqu'à se recommander d'une tradition imaginaire, comme le font les théosophistes contre qui nous avons formulé ailleurs la même objection (1), mais ils semblent voir du moins, dans l'ancienneté qu'ils attribuent faussement à leur croyance (et beaucoup le font certainement de très bonne foi), une raison susceptible de la fortifier dans une certaine mesure. Au fond, tous ces gens n'en sont pas à une contradiction près, et s'ils ne s'aperçoivent même pas de la contradiction, c'est parce que l'intelligence entre pour fort peu de chose dans leur conviction ; c'est pourquoi leurs théories, étant surtout d'origine et d'essence sentimentales, ne méritent pas vraiment le nom de doctrine, et, s'ils y sont attachés, c'est presque uniquement pare qu'ils les trouvent « consolantes ,» et propres à satisfaire les aspirations d'une vague religiosité.

La croyance même au progrès, qui joue un rôle si important dans le spiritisme, montre déjà que celui-ci est chose essentiellement moderne, puisqu'elle est elle-même toute récente et ne remonte guère au delà de la seconde moitié du XVIIIe. siècle, époque dont les conceptions, nous l'avons vu, ont laissé des traces dans la terminologie spirite, de même qu'elles ont inspiré toutes ces théories socialistes et humanitaires qui ont, d'une façon plus immédiate, fourni les éléments doctrinaux du spiritisme, parmi lesquels il faut noter tout spécialement l'idée de la réincarnation. Cette idée, en effet, est extrêmement récente aussi, malgré des assertions contraires maintes fois répétées, et qui ne reposent que sur des assimilations entièrement erronées ; c'est également vers la fin du XVIIIe. siècle que Lessing la formula pour la première fois, à notre connaissance du moins, et cette constatation reporte notre attention vers la Maçonnerie allemande, à laquelle cet auteur appartenait, sans compter qu'il fut vraisemblablement en rapport avec d'autres sociétés secrètes du genre de celles dont nous avons parlé précédemment; il serait curieux que ce qui souleva tant de protestations de la part des « spiritualistes » américains ait eu des origines apparentées à celles de leur propre mouvement. Il y aurait lieu de se demander si ce n'est pas par cette voie que la conception exprimée par Lessing a pu se transmettre un peu plus tard à certains socialistes français; mais nous ne pouvons rien assurer à cet égard, car il n'est pas prouvé que Fourier et Pierre Leroux en aient eu réellement connaissance, et il peut se faire, après tout, que la même idée leur soit venue d'une façon indépendante, pour résoudre une question qui les préoccupait fortement, et qui était tout simplement celle de l'inégalité des conditions sociales. Quoi qu'il en soit, ce sont eux qui ont été vraiment les promoteurs de la théorie réincarnationniste, popularisée par le spiritisme qui la leur a empruntée, et où d'autres sont ensuite venus la chercher à leur tour. Nous renverrons à la seconde partie de cette étude l'examen approfondi de cette conception, qui, si grossière qu'elle soit, a acquis de nos jours une véritable importance en raison de l'étonnante fortune que le spiritisme français lui a faite non seulement elle a été adoptée par la plupart des écoles « néo-spiritualistes » qui ont été créées ultérieurement, et dont certaines, comme le théosophisme en particulier, sont arrivées à la faire pénétrer dans les milieux, jusqu'alors réfractaires, du spiritisme anglo-saxon ; mais encore on voit des gens qui l'acceptent sans être rattachés de près ou de loin à aucune de ces écoles, et qui ne se doutent pas qu'ils subissent en cela l'influence de certains courants mentaux dont ils ignorent à peu près tout, dont peut-être ils connaissent à peine l'existence. Pour le moment, nous nous bornerons à dire, en nous réservant de l'expliquer par la suite, que la réincarnation n'a absolument rien de commun avec des conceptions anciennes comme celles de la « métempsychose » et de la « transmigration », auxquelles les « néospiritualistes » veulent l'identifier abusivement ; et l'on peut au moins pressentir, par ce que nous avons dit en cherchant à définir le spiritisme, que l'explication des différences capitales qu'ils méconnaissent se trouve dans ce qui se rapporte à la constitution de l'être humain, aussi bien pour cette question que pour celle de la communication avec les morts, sur laquelle nous, allons dès maintenant nous arrêter plus longuement.

Il est une erreur assez répandue, qui consiste à vouloir rattacher le spiritisme au culte des morts, tel qu'il existe plus ou moins dans toutes les religions, et aussi dans diverses doctrines traditionnelles qui n'ont aucun caractère religieux ; en réalité, ce culte, sous quelque forme qu'il se présente, n'implique nullement une communication effective avec les morts ; tout au plus pourrait-on parler peut être, dans certains cas, d'une sorte de communication idéale, mais jamais de cette communication par des moyens matériels dont l'affirmation constitue le postulat fondamental du spiritisme. En particulier, ce qu'on appelle le « culte des ancêtres », établi en Chine conformément aux rites confucianistes (qui, il ne faut pas l'oublier, sont purement sociaux et non point religieux), n'a absolument rien à voir avec des pratiques évocatoires quelconques ; et cet exemple est pourtant un de ceux auxquels ont recours le plus fréquemment les partisans de l'antiquité et de l'universalité du spiritisme, qui précisent même que les évocations se font souvent, chez les Chinois, par des procédés tout à fait semblables aux leurs. Voici à quoi est due cette confusion : il y a effectivement, en Chine, des gens qui font usage d'instruments assez analogues .aux « tables tournantes » ; mais ce sont là des pratiques divinatoires qui sont du domaine de la magie et qui sont tout à fait étrangères aux rites confucianiste. D'ailleurs, ceux qui font de la magie une profession sont profondément méprisés, là aussi bien que dans l'Inde, et l'emploi de ces procédés est regardé comme blâmable, en dehors de certains cas déterminés dont nous n'avons pas à nous occuper ici, et qui n'ont qu'une similitude tout extérieure avec les cas ordinaires ; l'essentiel, en effet, n'est pas le phénomène provoqué, mais le but pour lequel on le provoque, et aussi la façon dont il est produit. Ainsi, la première distinction qu'il y a lieu de faire est entre la magie et le « culte des ancêtres », et c'est même plus qu'une distinction, puisque c'est, en fait aussi bien qu'en droit, une séparation absolue ; mais il y a encore autre chose : c'est que la magie n'est point le spiritisme, qu'elle en diffère théoriquement du tout au tout, et pratiquement dans une très large mesure. D'abord, nous devons faire remarquer que le magicien est tout le contraire d'un médium ; il joue dans la production des phénomènes un rôle essentiellement actif, tandis. que le médium est, par définition, un instrument. purement passif ; le magicien aurait, sous ce rapport, plus d'analogie avec le magnétiseur, et le médium avec le « sujet » de celui-ci ; mais il faut ajouter que le magicien n'opère pas nécessairement au moyen d'un « sujet » , que cela est même fort rare, et que le domaine où s'exerce son action est autrement étendu et complexe que celui où opère le magnétiseur. En second lieu, la magie n'implique point que les forces qu'elle met en jeu soient des. « esprits » ou quelque chose d'analogue, et, là même où elle présente des phénomènes comparables à ceux du spiritisme, elle en fournit une tout autre explication ; on peut fort bien, par exemple, employer un procédé de divination quelconque sans admettre que les « âmes des morts » soient pour quoi que ce soit dans les réponses obtenues. Ce que nous venons de dire a d'ailleurs une portée tout à fait générale : les procédés que les spirites se félicitent de rencontrer en Chine existaient aussi dans l'antiquité gréco-romaine ; ainsi, Tertullien parle de la divination qui se faisait « par le moyen des chèvres et des tables », et d'autres auteurs, comme Théocrite et Lucien, parlent aussi de vases et de cribles qu'on faisait tourner ; mais, en tout cela, c'est exclusivement de divination qu'il s'agit. Du reste, même si, les « âmes des morts » peuvent, dans certains cas, être mêlées à des pratiques de ce genre (ce que semble indiquer le texte de Tertullien), ou, en d'autres termes, si l'évocation vient, plus ou. moins exceptionnellement, s'y joindre à la divination pure et simple, c'est que les « âmes » dont il s'agit sont autre chose que ce que les spirites appellent des « esprits » ; elles sont seulement ce « quelque chose » à quoi nous avons fait allusion plus haut pour expliquer certains phénomènes, mais dont nous n'avons pas encore précisé la nature. Nous y reviendrons plus à loisir dans un instant, et nous achèverons ainsi de montrer que le spiritisme n'a aucun droit à se recommander de la magie, même envisagée dans cette branche spéciale qui concerne les évocations, si tant est que ce puisse être là une recommandation ; mais, de la Chine, à propos de laquelle nous avons été conduit à ces considérations, il nous faut auparavant passer à l'Inde, à propos de laquelle il a été commis d'autres erreurs du même ordre que nous tenons à relever également en particulier.

.../...